Ma surprise est grande depuis que j’ai reçu le message de Samuel. Il est à Jeju et il veut que l’on se voie. Je l’avoue, je suis nerveuse. Est-ce qu’il m’appréciera toujours autant en chair et en os ? Est-ce qu’il va changer d’attitude parce que nous serons face à face au restaurant ? Je me pose tellement de questions qu’une fois de plus, je renverse une commande derrière le comptoir. Inutile de dire que les petites réflexions de mes collègues, piquent. Je nettoie avec application ma bêtise avant de relancer les boissons. Il faut que je me calme, que je sois plus attentive à mon travail sinon, je risque de me faire virer et inutile de dire que ce ne serait pas bon du tout. Plus de travail, plus de logement. Retour à la case départ et à la misère d’il y a quatre ans.

Je regarde discrètement l’horloge pour la énième fois. 15h30, respire ma fille, tu as encore tout ton temps et en plus, tu pourras utiliser la douche du vestiaire pour te faire propre. Tout va bien, pas vrai ? Non, rien ne va. Je suis si maladroite que j’ai peur de faire une bourde devant Samuel. Je ne sais plus de quoi je dois lui parler ou pas. Ma vie d’avant ? Non, on va clairement éviter.

L’heure tourne, les clients se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a les gens sympas et les autres. Aujourd’hui, c’est plutôt les autres qui se pointent. De quoi mettre vos nerfs à dure épreuve mais, je dois rester polie et garder le sourire. Je ne trompe personne ici, mes collègues ont compris qu’il y avait un truc qui me chiffonnait. Elles sont attentionnées et soucieuses de savoir comment je vais. Est-ce que je dois leur dire ? Non, elles piailleraient et glousseraient en me titillant, ce n’est pas une bonne idée, je suis suffisamment sur les nerfs comme ça et je risquerais d’être désagréable.

18h15. Je termine de ranger et de nettoyer le comptoir. Mina me dit que je peux aller me rafraîchir, qu’elle prend la relève. Je la remercie et file derrière pour me doucher rapidement et enfiler une tenue moins conventionnelle. 18h31. Je sors enfin du Starbucks et je le vois… mon Dieu, mon cœur s’affole et j’ai envie de crier ma joie. Contrôle-toi Lily ! Il s’avance et je lui offre un sourire radieux.

- Salut toi. Ça fait plaisir d’enfin te rencontrer après tout ce temps…

Mon Dieu, qu’il est beau…

Il me prend dans ses bras et là, c’est le blackout total. Le vide intersidéral. Je ne sais pas comment réagir. Quand on me touche, habituellement, je panique mais là, c’est étrange parce que rien ne se passe. Je passe même mes bras autour de sa taille avant de coller mon visage contre son torse. Son parfum est envoutant. Il a une force, une prestance qui me rendent toute chose. Je me sens bien contre lui. Je me sens moi-même. C’est déstabilisant. Je resserre mes prises autour de lui alors que mon cœur devient fou, il n’a plus de limites. Je redresse enfin la tête, mon menton contre lui, et le regarde en souriant.

- Je n’ai pas envie que tu me lâches en fait… c’est étrange mais… mais ça me plaît d’être dans tes bras…

Mes joues se teintent de rouge, j’ai peut-être été trop honnête avec lui. J’aurais dû tenir ma langue, il va s’imaginer des choses fausses à mon sujet. Il va croire que je ne veux qu’une seule chose ou deux, genre, être dans son lit et voler son argent. Bon sang mais, je me sens bien là ! Okay, détend-toi Lily, tout va bien.

- Est-ce que tu veux bien qu’on se décolle… ? ‘fin je veux dire… j’ai faim… on pourra se câliner après… ?

Je me sens mal de lui demander ça, et j’ai clairement honte de lui dire que j’ai faim. Parce que je ne mange que des pâtes depuis un mois parce que je ne peux pas me payer un bête steak haché. Oui j’ai honte.

- Tu es absolument divin…

Jésus ! Je n’ai pas osé dire ça, si ?! Je baisse les yeux pour cacher ma gêne. Je le savais. Je le savais que j’allais faire des bourdes ! Il va me détester ! Il va se dire que je suis superficielle ! Mon cœur s’emballe dangereusement, il faut que je respire sinon je vais m’évanouir face à ma bêtise.

Stupide, je suis stupide parce que je viens de dire ce que je pense tout bas. Je lui ai demandé de me lâcher mais déjà, ses bras me manquent. Que faire ? Il semblerait que Samuel ait pris la décision lui-même. J’allais ouvrir ma bouche pour lui dire que ce restaurant était extrêmement cher mais, il ne me laisse pas vraiment le choix en m’entraînant vers celui-ci. Je me sens affreusement mal à l’aise parce que, contrairement à lui, je suis habillée comme un sac. Et le regard des gens ne trompe pas. Ils doivent se dire que je suis une femme de petite vertu, que c’est pour cela que je suis si mal habillée. Je baisse la tête et torture mes doigts, suivant Samuel jusqu’à une table que le serveur nous propose. Je m’y installe, regardant discrètement autour de nous. Ouais, on me regarde et on lance limite des regards de reproches à Samuel.

- Vraiment… je suis désolée que les gens te regardent aussi mal à cause de moi…

Je m’excuse alors que nous n’avons clairement rien fait de mal mais, je ne veux pas lui attirer de problèmes. Alors je garde la tête baissée, je fixe le menu sans vraiment le voir. Il faut que j’investisse dans des vêtements plus classes pour ne pas faire honte à Samuel. Il est si gentil et avenant avec moi, il ne mérite aucun reproche. Avant je me serais dit que si ça ne leur plaisait pas, qu’ils regardent ailleurs ou s’en aillent mais maintenant, des tas de choses ont changé. Plus jeune je crois bien que je leur aurais manqué de respect, clairement, mais cette époque est révolue depuis bien longtemps. Je finis par m’intéresser au menu, les prix sont exorbitants !

- Dieu que c’est cher…

Un simple murmure en tournant les pages. Toutes ces choses ont l’air extrêmement bonnes mais, que choisir ? Je m’arrête finalement au menu enfant, ce sera amplement suffisant pour mon estomac je crois.

Visiblement, je n’ai pas mon mot à dire ce soir puisque Samuel prend toutes les décisions à ma place. Je mâchouille l’intérieur de mes joues, il me connaît bien, peut-être un peu trop. Je n’ai même pas eu besoin de le regarder et de lui dire mon choix. Il a vu juste en montrant le menu enfant, je rougis et tripote nerveusement une de mes mèches de cheveux en souriant un peu. Il me demande de penser à moi, elles sont rares les fois où je pense à moi, admettons-le. Je ne me fais jamais plaisir, juste le stricte nécessaire, jamais de superflus, je suis comme ça depuis mon arrivée à Jeju.

Quand il émet l’hypothèse d’un potentiel « nous », mon cœur s’emballe. Si seulement il savait que j’aimerais vraiment que ce « nous » existe. Oh oui, j’en rêve et ce n’est pas parce qu’il me paye un restaurant de luxe, non. Je l’aime c’est clair et net mais comme je l’ai dit, il doit avoir mieux à faire que d’être avec une fille comme moi.

- Oh et bien je vais te faire visiter la ville… te montrer mes endroits préférés et peut être que je te séquestrerais pour ne pas que tu partes, je ne sais pas encore…

Je le fixe droit dans les yeux avant de rire discrètement.

- Je veux passer le maximum de temps avec toi. Mes amis comprendront très bien et non, je n’ai pas de petit copain parce que je ne rentre pas vraiment dans les normes de beauté des coréens. Ils aiment bien les filles qui sont refaites et sans petites poignées d’amour comme j’ai. Enfin, c’est mon point de vue personnel, après ils ne sont peut-être pas tous pareils ! Mais peut-être que ta petite amie ne sera pas d’accord que tu traînes avec moi trop souvent…

Je ne veux pas être responsable de la séparation d’un couple même si je serais ravie d’apprendre que Samuel est seul…

Les choses prennent une tournure différente tout à coup. Il me parle d’une rencontre avec un autre homme qui m’aimera comme je suis, sauf que je ne veux pas d’un autre homme. Je veux Samuel, personne d’autre. Je rougis de plus en plus, il me complimente encore et toujours. Cet homme est parfait ma parole ! Un vrai prince. J’écoute son récit, ouvrant et fermant ma bouche comme une carpe. Est-ce qu’il vient vraiment de me dire ce que je crois avoir compris ?! Est-ce qu’il vient de me donner l’espoir fou que lui aussi, ressent les mêmes choses que moi ?! J’ose à peine y croire et pourtant, son attitude assurée vient de partir en fumée. Je me retrouve face à un jeune homme timide et rougissant, ce qui renforce encore plus mon amour pour lui. Il est contradictoire en même temps, c’est adorable. Je pose mes mains sur les siennes et caresse sa peau ave douceur en souriant tendrement.

- Monsieur Lewis, vous parlez un peu trop effectivement… pourquoi ne m’embrasseriez-vous pas, tout simplement… ? Ainsi vous aurez la réponse à vos questions…

Je le regarde dans les yeux, mes joues teintées de rouge vif. Je ne pensais pas m’épancher encore davantage quand Samuel aurait été devant moi.

- Tu ne foires rien du tout… ta maladresse est adorable et je… tu es craquant quand tu bafouilles et quand tu rougis… tu sais, je… j’ai aussi des sentiments… c’est la première fois depuis longtemps… tout à l’heure, tu m’as prise dans tes bras et je ne t’ai pas repoussé… depuis que j’ai quitté mon pays, jamais personne n’a réussi à me serrer contre lui ou elle, sans se prendre une gifle ou un coup de genoux avant de me voir m’enfuir… encore là, je suis avec toi au restaurant alors que d’habitude, j’aurais refusé en disant que je faisais des heures supplémentaires, simplement parce que j’ai cette appréhension qui me bouffe au fond de moi… Ce que j’essaye de te dire c’est que… je me sens bien en ta compagnie, je ne suis pas inquiète…

Je ne me sens pas encore prête à lui dire toute la vérité, c’est bien trop tôt.

J’ai cru, l’espace d’une seconde, qu’il allait partir en courant et ne plus jamais revenir quand je l’ai vu se lever. Je suis soulagée de m’être trompée pour une fois. Il vient à mes côtés et je le fixe avec des yeux brillants, un doux sourire sur le visage. Alors ça y est, on va s’embrasser, pour de vrai ? Nos visages se rapprochent, nos bouches aussi mais l’abruti de serveur nous interrompt pour nous signaler que nos plats sont arrivés. Mais non ! Je refuse ! Je le veux mon bisou ! Il a tout gâché… La mine sombre et renfrognée, je fusille du regard l’importun avant de tourner mes yeux vers mon assiette. Je n’ai plus très faim tout à coup… je suis tellement déçue et frustrée !

Aller ma fille, prend sur toi, vous pourrez peut-être reprendre cette conversation muette plus tard. Je joue un peu avec ma nourriture, tête basse et mine boudeuse sont bien présentes mais quand il me parle, je lui souris en le regardant.

- Oui, tu as très bien fait de venir…

Je ris un peu même si le cœur s’est dérobé, se cachant encore plus profondément sous ma cage thoracique. Je commence enfin à manger. Ce n’est pas mauvais comme plat, je me demande combien il y a de calories là-dedans. Beaucoup je suppose avec toute cette sauce délicieuse. Je prends mon verre et bois avant de le lâcher à la question déguisée de Samuel. Le verre s’écrase au sol dans un bruit peu discret alors que mes mains se mettent à trembler violemment. Je me lève précipitamment et ramasse ma bêtise avant qu’une serveuse me stoppe.

- Ne vous en faites pas mademoiselle, je m’en occupe. Profitez de votre repas.
- Je… je suis désolée…

Je me rassoie donc et fixe mon assiette. Maintenant, mes lèvres tremblent à leur tour. Je me lève de nouveau et tente un sourire rassurant pour Samuel.

- Je reviens, je… je vais au petit coin…

Sans attendre de réponse de sa part, je file presque en courant vers les toilettes dans lesquelles je m’enferme pour reprendre contenance.

Je suis dans les toilettes et je me trouve pathétique, là sur le trône en train de pleurer en silence. Pourquoi tout est si compliqué tout à coup ? Je me croyais plus forte que ça mais sa question m’a prise à la gorge, comme un loup attrape à la jugulaire le daim. Une fois de plus, j’ai fui au lieu de prendre le problème à bras-le-corps et de lui tenir tête. J’entends une femme s’exciter sur Samuel. Elle va se calmer celle-là ou c’est moi qui la calme ? Elle finit par partir et j’entends clairement que Samuel verrouille la porte pour ne pas que l’on nous embête. J’hésite quelques instants avant de sortir des toilettes, appuyant mon dos contre la porte. Je cache mes yeux rougis en gardant la tête baissée. Je suis comme qui dirait, prise au piège à présent. Je vais devoir lui dire la vérité, je crois bien que je n’ai plus le choix.

- Tu n’as rien fait… c’est moi le problème… ma venue ici est en lien avec mon passé… celui dont je ne t’ai pas parlé parce que… parce que c’est trop dur à dire… c’est comme quand on tombe et qu’on se blesse, à chaque fois on se recogne là où ça fait mal et on se demande si ça va guérir un jour ou non… Je ne veux pas lire de pitié dans tes yeux… je ne veux pas que ton attitude change si je te parle de tout ça… Seulement, ça risque de se passer forcément comme ça, ça se passe toujours comme ça… Quand je parle, les gens changent totalement…

Je me mords l’intérieur des joues jusqu’au sang. Je relève finalement la tête pour le regarder. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas comment engager la conversation, de plus, ici ce n’est pas l’endroit idéal pour avoir une conversation sérieuse qui peut tout changer. Je m’avance vers lui, timidement.

- Je veux bien qu’on s’en aille d’ici… qu’on aille sur la plage… loin des gens…

Je prends ses mains dans les miennes et enlace nos doigts. On dirait une enfant, c’est pitoyable.

Une fois de plus, on nous dérange dans un moment qui aurait pu être tendre, rassurant. Je serre nos doigts enlacés pour ne pas qu’on se perde alors que l’on quitte les toilettes. Je reste tout près de Samuel. Beaucoup de choses se sont passées aujourd’hui. Beaucoup d’émotions ont été ressenti, je crois que l’on va bien dormir la nuit prochaine, autant Samuel que moi. On récupère nos « doggies bags » avant de partir de ce restaurant maudit. Le chemin vers la plage se fait dans le silence, un silence étrange mais nécessaire pour calmer nos esprits peut-être ?

On arrive à la plage, la vue est magnifique malgré la nuit qui tombe progressivement. Je m’assoie aux côtés de Samuel et écoute les premières révélations de son passé en le regardant. J’ai gardé sa main dans la mienne, ce qui ne semble pas le déranger plus que ça.

- J’avais des parents et un poney de compagnie qui s’appelait Serge…

Je n’en dis pas plus, de toute façon, qu’y a-t-il à dire de plus ? Rien du tout dans l’immédiat. On vivait dans un quartier très modeste, non-loin du bidonville. Il y avait régulièrement des descentes de police dans le coin pour les petits dealers de rêves comme je les appelle. Rien de bien intéressant dans le fond. Mes parents sont en prison et la banque me verse une partie de leurs salaires chaque mois, ça aide des fois et je m’arrange pour me débarrasser de cet argent au plus vite. Beaucoup de personnes me disent que c’est normal qu’ils me donnent leur argent, que je le mérite après tout ce qu’ils m’ont fait mais, pour moi, cet argent est un poison brûlant et plus vite il est extrait de la plaie, plus vite je guéris. Oui, l’image est un peu bizarre mais je n’ai pas mieux à proposer.

Je ris doucement et acquiesce quand il me demande confirmation au sujet de Serge. J’aurais bien aimé l’emmener ici mais, comment dire ? Un poney, dans un studio ? Restons sérieux deux minutes, c’est quand même encombrant, sans parler des odeurs de crottin ! Je crois bien que le propriétaire me virerait sans ménagement. Et puis il me demande pour mes parents. Je suis vraiment coincée. Je vais lui dire la vérité, quitte à le voir s’enfuir en courant, tant pis. Mais avant, je veux en savoir un peu plus sur lui alors j’écoute patiemment ce qu’il me raconte. Une petite sœur et un jumeau… il semble les aimer de tout son cœur. Peut-être que si j’avais eu un grand frère, les choses auraient été différentes. Peut-être que rien de tout ça ne serait arrivé, et mes parents seraient restés des parents aimants. Je baisse la tête sur nos doigts enlacés.

- Ça ne doit pas être facile de le voir si peu… il doit te manquer… j’espère qu’un jour vous pourrez vous voir davantage. J’aurais aimé avoir un frère ou une sœur…

Je souris brièvement. C’est à moi de parler. Je me jette à l’eau, advienne que pourra.

- Non, mes parents ne sont pas morts bien que j’aurais préféré que ce soit le cas… ils sont tous les deux en prison parce que…

Je souffle doucement alors que des sanglots se pointent vicieusement.

- Mon père a eu un accident de travail et il s’est mis à boire… Il a commencé à frapper ma mère et puis… il s’en est pris à moi… Il… venait quasiment chaque soir… dans ma chambre… il faisait en sorte que… que je sois incapable de me défendre… par tous les moyens possibles…

Mes larmes affluent sans que je ne puisse les retenir, au point où j’en suis, je ne suis pas sûre que ce soit utile de les retenir en fait…

- Il a abusé de moi… pendant plusieurs années… ma mère s’est mise à boire et à me frapper aussi… à seize ans, je me suis retrouvée enceinte de mon père… il m’a battu avant de me conduire à l’hôpital pour que j’avorte…

Mon corps tout entier tremble et mes pleurs sont de moins en moins discrets, bravo Lily, tu viens de gâcher la soirée, tu es stupide…

- Je me suis enfuie il y a deux ans… pour me réfugier ici…

J’ai vidé mon sac, voilà. Il sait tout, même si je lui ai passé les détails horripilants. Il me serre contre lui et je laisse la pression s’échapper dans mes larmes en m’accrochant à lui avec force. Il ne m’abandonnera pas, pas vrai ? Son attitude me laisse croire qu’il m’aimera encore un peu malgré mon histoire, je croise les doigts pour que mes pensées soient vraies. On m’a souvent dit que j’étais courageuse, peut-être que c’est vrai mais parfois, c’est difficile de garder la tête haute, de se dire qu’on a bien fait.

Je ferme les yeux et tente de me calmer. Il sent bon, ça aide pas mal. Lui aussi me dit que j’ai bien fait de m’enfuir. J’ai peur qu’un jour mon passé me rattrape malheureusement. Ils n’ont pas écopé de lourdes peines malgré ce qu’ils m’ont fait. Quand ils sortiront de prison, je suis quasiment sûre qu’ils essaieront de me retrouver. Ils joueront aux parents éplorés et totalement désolés pour ce qu’il s’est passé. Ils essaieront de m’amadouer et comme je suis une idiote, je croirais leurs mots. Ils seraient même fichus de me faire culpabiliser pour obtenir que je rentre à la maison. Samuel m’invite à le regarder dans les yeux, ce que je fais. Quand il me regarde, je me sens bien, je me sens jolie… c’est une sensation plaisante, rassurante. Il s’excuse d’avoir lancé le sujet, mais il n’a pas à le faire parce que tôt ou tard, j’aurais dû lui dire, surtout si notre relation change. Et alors que j’attends ce baiser depuis une éternité, un nouvel élément nous stoppe dans notre élan : un ballon s’écrase sur sa tête. Je laisse échapper un rire, ce n’est pas très gentil, je l’avoue mais cela fait plusieurs fois qu’on nous interrompt, cela devient assez cocasse. Je me redresse et m’approche de Samuel pour vérifier qu’il va bien, le pauvre, ça doit faire mal, surtout à cette vitesse. Une fois de plus, Samuel fait preuve de gentillesse dans ses mots. Sa vie ne semble pas être bien meilleure que la mienne mais, je ne le forcerais pas à en parler. Quand il se sentira prêt, je serais là.

Je me rends compte que le jeune homme a du mal à dire ce qu’il ressent, sûrement son éducation stricte qui veut ça mais, mon cœur a clairement compris ce qu’il essaye de me dire. Il m’aime. Nos sentiments sont partagés. J’ai l’impression que le cauchemar d’il y a quelques minutes, se transforme en un rêve doux et agréable. Je souris avec amour, avec tout l’amour que j’ai pour lui et l’embrasse enfin avec tendresse. Au diable le monde, je suis amoureuse de Samuel…

Nos lèvres se touchent pour la première fois depuis notre rencontre en face à face. Je peux aisément dire que nous avons galéré pour un simple baiser. Entre les interruptions d'autrui, les accidents des autres, je commençais à me dire que le monde s'était ligué contre nous, refusant de laisser nos sentiments s'exprimer. J'ai pris les devants pour une fois, refoulant au fond de moi mes peurs et ma timidité légère, je ne pensais pas que j'allais le regretter si vite. Sa main s'est glissée sur ma peau alors que j'étais coincée entre lui et le sable. C'est trop rapide, trop effrayant, j'en tremble. Il a senti mon mal-être mais, je ne suis pas dupe, j'ai senti son corps réagir. Comme une brûlure dans mes entrailles. Non, je ne suis pas prête pour ça, pas maintenant. Samuel est-il finalement comme les autres ? Veut-il seulement que l'on couche ensemble ? Non, je n'ose y croire, et puis ses mots, ils ont l'air sincère.

Pourtant une partie de moi hurle dans les ténèbres de mon âme. Elle me crie de fuir. Elle me crie que tous les hommes sont pareils. Elle me crie que si je flanche, il m'abandonnera après. J'ai peur, je me sens mal, je me sens sale... je veux disparaître. Je baisse la tête, mes yeux s'emplissent de larmes. J'ai si froid tout à coup... les douleurs se réveillent. Pourquoi, soudainement, tout est si compliqué avec lui ? Mes lèvres tremblent, je vais défaillir si cela continue. Non, il ne faut pas, me crie cette partie en lambeaux ancrée dans mon âme, il pourrait en profiter ! Nous sommes seuls, sur une plage, dans la nuit. Si je ne pars pas, il va le faire !

- Je... ce n'est pas grave... je rentre...

Je ne lui laisse pas vraiment le choix, je me lève et pars en courant sans me retourner. Je vois des ombres danser aux coins de mes yeux, elles fêtent une victoire. Les visages des gens sont démoniaques, non je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas que ça recommence ! Un homme d'âge mûr m'interpelle en agrippant mon bras. J'hurle et le pousse avant de reprendre ma course folle.

Folle, c'est sûrement ce que le monde pense de moi à cet instant... La nuit s'assombrie et un coup de tonnerre me fige sur place. Je regarde autour de moi, j'ai paniqué à ce point...? Pauvre Samuel, je m'en veux tellement ! Il n'a pas fait exprès, il me l'a dit. C'est la joie et l'excitation de se voir qui nous a amené à cette conclusion chaotique.

Je pose une main contre ma poitrine, mon coeur bat de manière anarchique sous ma cage thoracique. Je respire et souffle à plusieurs reprises avant de faire le point. Je ne suis pas loin de la résidence. Je reprends mon chemin, plus calmement alors que la pluie m'a trempé jusqu'à la moelle. Je crois que demain, je vais devoir aller chez le médecin...